A quelle admirable manoeuvre vient-on d'assister au Palais-Bourbon ou un texte entérinant le délit de fausse déclaration concernant les députés et adopté par la commission des lois était en discussion!
Il s'agissait de punir tout élu de l'Assemblée nationale qui aurait omis "sciemment" de déclarer son patrimoine ou en aurait fourni une évaluation "mensongère" à la Commission pour la Transparence Financière de la Vie Politique (arrêtez de rigoler, c'est sérieux!). La peine prévue était de 30.000 euros et deux ans d'emprisonnement (avec sursis! qu'alliez-vous croire?), l'inégibilité et, le cas échéant, la privation des droits civiques.
Avouez qu'il y avait de quoi vous dégoûter d'être député!
Il fallait réagir!
Et c'est là que ces messieurs-dames se sont tous entendus pour se payer votre tête avec une virtuosité exceptionnelle.
Il s'agit d'un enfumage à plusieurs niveaux, comme je vais avoir l'honneur de vous l'exposer.
Premier niveau:
Celui de la Commission des lois. La déclaration de patrimoine ne concernant que l'élu, il lui est aisé de mettre l'argent gratté pendant son mandat au nom de son gendre, de sa maîtresse (qu'il épousera à la fin de la législature) ou de son frère; de le confier à une banque luxembourgeoise, à un gestionnaire de fortune établi aux Îles Caïman ou -tout simplement- de le mettre dans une de ces valises qu'affectionnent les politicards, bien au chaud dans le coffre de sa résidence dans un pays de soleil. Ce texte n'était donc que de la poudre aux yeux.
Deuxième niveau:
Celui de la discussion et du vote à l'Assemblée. Pour ceux qui se débrouillent comme des manches et ne savent pas comment planquer l'oseille qu'ils ont mise à gauche, un tel texte représentait un danger. Un petit mais un danger quand même. Heureusement le tandem Copé-Jacob est intervenu non pas pour faire voter contre ce texte (ce qui eût été clair: on aurait su à quoi s'en tenir) mais pour y proposer un amendement qui le vidait de son contenu.
Le débat était donc déplacé du texte lui-même vers l'amendement afin que vous ne sachiez plus qui était pour et qui était contre et de quoi on parlait. Grâce à cette subtile manoeuvre, les "pour" la sanction devenaient les "contre" sa suppression alors que les "contre" le texte de la Commission des lois devenaient les "pour" l'amendement..
Vous suivez toujours? Oui? Alors, je continue.
Troisième niveau :
Celui du débat. Certains députés (et pas seulement dans l'opposition, du côté de l'UMP aussi!) se sont alors avisés que la ficelle était un peu grosse et que cette affaire risquait, en accordant par avance l'impunité à des fraudeurs, de renforcer l'image du "tous pourris" dont ils ont du mal à se défaire. Comme le dit le "JDD" en termes fort galants: "L'image d'une Assemblée nationale peu regardante sur le patrimoine de ses élus pourrait être mal perçue en ces temps de rigueur" (ce qui sous-entend que, quand les affaires marchent, les élus peuvent se goinfrer joyeusement).
Ces députés s'opposant à l'amendement Copé-Jacob, la discussion s'éternise et finalement l'amendement est retiré.
Le texte punissant la fausse déclaration passera. Youpie! Copé est mouché! Les fraudeurs iront en prison (avec sursis). La vertu triomphe!
Quatrième niveau:
Celui du vote. le texte de la Commission des lois est adopté par 54 voix contre 33 (où sont passés les autres députés?). Ceux qui sont contre ne sont pas, contrairement à ce qu'on pourrait penser, des partisans de l'indulgence vis-à-vis des magouilleurs mais, nous dit toujours le "JDD", des députés "de gauche jugeant insuffisantes les mesures envisagées".
Quatrième niveau (bis):
Le texte est voté, certes, mais sans la disposition prévoyant la peine de prison. Bizarre, non? La seule véritable peine reste l'amende de 30 000 euros. Une petite somme pour un député qui a cinq ans devant lui.
Cinquième niveau:
Celui de la communication. L'Assemblée a eu un "sursaut républicain" (défense de rire). C'est de cette façon que cette mascarade est présentée.
Les députés fraudeurs ne risquent plus grand chose. Et même Copé (qui se fotte les mains en coulisse) est prié de faire la gueule sur scène et de faire semblant de croire, comme le dit le "JDD" que "pour le tandem Copé-Jacob, il s'agit d'un premier revers de taille".
Et hop! Passez muscade!
Et bonjour chez vous!