Liliane Bettencourt a perçu trente millions d'euros au titre du bouclier fiscal, affirme Médiapart. "Trente millions! C'est une somme", se dit le lecteur abasourdi. "Et en plus, c'est le fisc qui les lui verse! C'est un scandale!" ajoute le même lecteur pour lequel le même fisc ne s'est jamais montré aussi généreux.
Médiapart affirme aussi que, pour des montants aussi importants, le ministre du budget doit donner son aval. C'est peut-être vrai. Eric Woerth rétorque qu'il n'en est rien et qu'un ministre du budget n'intervient en rien dans cette procédure. C'est peut-être vrai aussi.
Quoi qu'il en soit, donner son aval, ne signifie pas qu'il peut refuser de le donner mais que pour une somme d'une telle importance, une seconde signature est nécessaire. C'est d'ailleurs le cas dans de nombreuses entreprises privées.
De toutes façons, ces trente millions, Madame Bettencourt y avait droit. C'est la loi. On peut estimer que cette loi est injuste, imbécile ou mal fichue mais c'est la loi.
De plus que le ministre du Budget ait ou non donné son aval importe peu sauf s'il était de sa responsabilité de contrôler l'exactitude de la somme.
Comme prévu sans doute par ceux qui ont lancé l'information, la polémique enfle: on affirme, on dément, on s'indigne de part et d'autre. Et on se focalise surtout sur la somme et sur l'aval contesté.
Bien joué! Pendant ce temps, on pense un peu moins au reste. Heureusement, il y a Le Monde.fr et la presse suisse.
Cet écran de fumée, volontairement ou non,
- détourne autant que faire se peut, l'indignation du bon peuple en faisant d'Eric Woerth la victime d'une campagne médiatique fondée sur ces trente millions, point sur lequel il est peut-être inattaquable;
- évite la question de son éventuelle responsabilité dans l'indulgence dont a peut-être bénéficié Liliane Bettencourt de la part des services fiscaux: d'après Médiapart, elle n'aurait jamais été contrôlée au cours des quinze dernières années alors que François Baroin, actuel ministre du budget, indique que les patrimoines de plus de trois millions d'euros sont contrôlés tous les trois ans;
- ignore la possibilité que le conflit d'intérêts dans lequel se trouvait Eric Woeth entre sa fonction ministérielle et la carrière de son épouse ait pu se résoudre au bénéfice de cette dernière et par conséquent au bénéfice de Liliane Bettencourt;
- essaie de passer sous silence que, comme le rappelle la Tribune de Genève, pendant que son mari gerroyait contre l'évasion fiscale en se vantant de s'être procuré une liste de fraudeurs ayant un compte non déclaré en Suisse, Florence Woerth, "l'une des gérantes de fortune de Liliane Bettencourt, était vue très souvent [à Genève] dans le "family office" de la milliardaire française". Eric Woerth, durant ces deux dernières années, ne pouvait pas ignorer que sa femme se trouvait très régulièrement à Genève. Et que ce n'était certainement pas pour voir son Jet d'eau !".
Peut-être pour s'occuper du transfert de "280 millions d'euros des comptes français de Liliane Bettencourt chez UBS Genève"?
- rejette dans un passé lointain le fait qu'au printemps 2007, Eric Woerth se serait rendu en Suisse pour un dîner "avec les plus grandes fortunes françaises exilées en Suisse romande [pour] collecter des fonds pour la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy"". Eric Woerth ne cherchait pas alors à savoir si les chèques qu'on lui remettait étaient prélevés sur des comptes suisses non déclarés au fisc français." a déclaré un banquier genevois au quotidien suisse. La collecte finale avait rapporté, en tout, plus de 7 millions d'euros.
- et repousse dans un passé encore plus lointain, ce que rappelle Le Matin Dimanche, les voyages que Nicolas Sarkozy, avocat d'affaires avant de devenir président de la République, effectuait à Genève avec ses clients pour les introduire auprès de financiers locaux.
La question n'est plus donc de savoir si Eric Woerth a ou non donné son aval à une procédure légale, ni même s'il "pourrait" y avoir conflit d'intérêt entre les activités professionnelles de son épouse, son statut de trésorier de l'UMP et ses fonctions ministérielles, ni s'il doit ou non démissionner. Si les faits rapportés par la presse suisse étaient avérés (et la Tribune de Genève n'est pas réputée pour être un journal fantaisiste), la démission d'Eric Woerth ne serait qu'une première étape.
"Quand même", se dit le lecteur toujours abasourdi, " trente millions, c'est une somme!". Et les copains d'Eric Woerth, trop contents, qu'on oublie la Suisse, renchérissent: "Vous avez raison: c'est une somme, c'est même un scandale!".