Fragment d'un conte médiéval:
........ Ils avaient fini par s'entendre et ne faire qu'un seul pays des petites principautés.
Il faut dire qu'ils en avaient un peu assez de se battre et qu'ils commençaient à craindre que leurs voisins ne profitent de leurs divisions (les Kinois à l'est, les Riquints à l'ouest et les Briques, peuplades récemment civilisées, un peu partout).
Donc ils avaient créé un pays avec une assemblée et un conseil des chefs (très nombreux, les chefs: chaque ex-principauté voulait y placer ses princes). Un pays avec des frontières, des directives et même une monnaie. Il avaient même trouvé un nom à leur nouveau pays: l'Euroupie. Ses habitants devenaient des Euroupiens et leur monnaie ... Non! Pas le roupi mais l'Eurofayot, plus couramment appelé le fayot.
Oui, le fayot. Le vrai, celui qu'on mange et celui qu'on sème. Celui qu'on enferme, sous l'autorité d'un gouverneur, dans le SCR (Silo Central Roupien).
Chaque pays consommait ses fayots (les uns à la tomate, les autres avec du lard etc) et chaque pays produisait des semences qui fournissait de nouveaux fayots à la saison suivante.
Pratique, n'est-ce pas?
Si la récolte était mauvaise quelque part, les autres régions pouvaient prêter de nouvelles semences; à charge pour l'emprunteur de payer ses dettes après la prochaine récolte.
Mais certaines des ex-principautés, surtout situées dans la partie méridionale du pays (en Espaghettie et surtout en Moussaquie), ne jouaient pas vraiment le jeu. Leurs habitants ne semaient que peu de fayots et préféraient cuisiner les semences que leur envoyaient leurs naïfs voisins du Nord.
Et quand par extraordinaire ils cultivaient les fayots, ils gardaient la récolte pour eux. Leurs princes hésitaient en effet à percevoir la dîme nécessaire aux remboursements de peur de fâcher leur peuple (les Moussaquiens ont le sang chaud).
Ne sortaient plus de ces pays que les fayots impropres à la consommation (on a relevé des cas d'intoxication) et à la culture, ce que les médias ont appelé les "fayots pourris". Ils rejoignaient dans le SCR les fayots gros et gras que les pays du Nord y déversaient régulièrement. La qualité -donc la valeur- du stock euroupien baissait et le cours de l'eurofayot face au rizien kinois ou au maquedolard riqint (un maquedolard valait cent cocacolards) s'effondrait.
La Berlinie qui avait abandonné son berlingot pour adopter le fayot et se prenait à le regretter, envisageait de refuser d'envoyer de nouvelles semences en Moussaquie ("Ils vont encore tout bouffer, ces niaquouets!"), les autres pays la suppliaient de n'en rien faire de peur de voir leurs propres créanciers réclamer d'être payés en beaux et bons fayots et non pas en promesses à tenir après la prochaine récolte (et après les prochaines élections).
La situation était grave et les perspectives dramatiques.
C'est alors que ...
Le conte s'interrompt ici. Une grosse partie du manuscrit a été perdue. Quelques siècles plus tard, un fabuliste a voulu écrire non pas une une fin à cette histoire mais deux.
L'une se termine par: "Travaillez prenez de la peine, c'est le fonds qui manque le moins".
L'autre par: "Vous chantiez? J'en suis fort aise. Eh bien! Dansez maintenant!".
Personne n'a retrouvé la version d'origine et on s'interroge encore: "Comment cela a-t-il fini?"