"Quand des casseurs se réclament d’une forme dévoyée de l’islam, ce sont les musulmans qui souffrent les premiers car ces actes nourrissent des amalgames insupportables."
Voilà ce qu'a déclaré Manuel Valls vendredi dernier à la grande mosquée d'Evry où il a partagé le repas de fin du Ramadan. Et il n'a pas hésité à ajouter: "Il n’y a pas, comme je l’entends parfois, un deux poids, deux mesures au détriment des musulmans." (C'est moi qui souligne car cette phrase vaut son pesant de tartines beurrées).
Reporter la souffrance des victimes sur les corréligionnaires des coupables (et pourquoi pas la culpabilité des casseurs sur les victimes, puisqu'on y est?) c'est quand même aller très loin dans la contorsion rhétorique. Faut-il comprendre que plus les musulmans anti-sémites "casseraient du feuj", plus les musulmans "non-dévoyés" souffriraient d'amagames insupportables?
"Et les Juifs?", me direz-vous. Les Juifs, ils sont habitués depuis le temps, ils peuvent supporter l'insupportable.
"Je souffre plus que toi, tu vois ce que tu me fais faire", dit le type à l'enfant qu'il "corrige" avant de l'emmener à l'hôpital.
Oui mais ces coupables ne sont pas des "vrais" musulmans, laisse entendre Manuel Valls.
Ah, bon? Et où étaient-ils pendant ce temps-là, ces vrais musulmans? Quand ont-il protesté? Organisé des contre-manifestations? Essayé, y compris par la force, de retenir leurs correligionnaires dévoyés sur la pente de la violence?
Cela résume les premières réactions à cette phrase du premier ministre.
Mais il y a plus. Et sans doute plus important que le dédouanement du prétendu Islam de France des agissements des intégristes. Il y a cette question: en quoi cette forme d'islam est-elle dévoyée? Et qu'est-ce qui autorise Valls à l'affirmer?
Dans quelle madrasa a-t-il suivi ses études coraniques, notre premier ministre?
Pourquoi cette forme d'Islam serait-elle dévoyée par rapport au wahabisme de l'Arabie saoudite, à l'intégrisme iranien ou celui du sultanat de Brunei, à celui du Pakistan ou de tous ces pays où l'Islam est la religion d'état? Pour ne pas parler de Boko Aram, d'AQMI, d'Al Qaïda, du califat installé en Irak ou d'autres factions de musulmans extrémistes qui très probablement jugent dévoyé cet "Islam de France" soumis à une République laïque.
Et si cette forme d'Islam n'était pas plus dévoyée que ne le sont les antifas par rapport aux militants du PS ou les Femen par rapport aux féministes? C'est à dire pas vraiment?
La tolérance que manifeste l'Islam de France pour ses frères dévoyés pourrait amener à se poser cette question.
Ce n'est pas à un politique d'utiliser des arguments qui appartiennent à la sphère de la théologie et qui risquent de se retourner contre lui.
Mais peut-être fallait-il s'y attendre, venant d'un socialiste et d'un laïque "dévoyé".